Préambule
« L’objectif est de mettre chaque commune de la métropole à 30 minutes du cœur urbain et chaque habitant à 30 minutes des services essentiels. » Voici l’objectif principal du projet InspiRe présenté par la CAM (Clermont Auvergne Métropole). Et qui ne voudrait pas d’une telle solution afin de combattre bouchons et stress au volant ? Son objectif secondaire s’appuie sur un idéal écologique : réduire les émissions des gaz à effet de serre, ceci dans le but de préserver l’avenir de nos enfants et des populations futures. Là encore, qui pourrait décemment s’indigner de cette intention ?
Pourtant, de nombreuses voix se sont élevées, et continuent de s’élever, contre ce projet, pour diverses raisons. Nous désirons donc, ici, relever tous les points de ce beau projet, ses points forts AUTANT QUE ses points faibles.
Présentation du projet InspiRe
Deux lignes de Bus à Haut Niveau de Service (BHNS), des améliorations sur l’ensemble du réseau, des aménagements cyclables et piétons, plus de végétation, des espaces publics repensés… Voilà les grandes mutations en cours sur la métropole d’ici 2026. Le site de la CAM parle du « projet (qui) irriguera tout le territoire, rapprochant chacun de son lieu de travail, des services essentiels et des activités du quotidien. Et grâce à des possibilités d’itinéraires plus nombreuses, il sera plus simple, plus rapide et plus agréable de se rendre d’un point à un autre de la métropole. »
Ses points forts
Et effectivement, ce projet est idyllique pour qui souhaite, veut et peut se passer de sa voiture, pour l’individu sportif avec (ou sans) conscience écologique désireux de pédaler en sécurité sur le bitume de sa belle ville, comme pour les personnes n’ayant pas le bonheur de subir les hausses de carburant pharaoniques de ces dernières années car n’étant pas propriétaires de véhicules thermiques (ni électriques !), comme pour celles souhaitant et pouvant s’en affranchir.
Avec InspiRe, la « campagne » se rapproche de la ville, désormais toutes deux liées par un ensemble de bus et voies bitumées dédiées à un idéal d’échange facilité entre les individus, comme au raccordement des réseaux routiers.
Et la nature sera invitée à l’intérieur même de la ville avec la plantation de près de 3000 arbres tout le long de ces nouvelles voies, ainsi que la création de nouveaux espaces verts. Ceci dans le but d’offrir ombre et fraîcheur aux habitants, tout en luttant contre le ruissellement des eaux et la hausse des températures citadines.
Ses points faibles
Cependant, ces belles idées s’accompagnent de résultats bien préoccupants, et de nombreuses appréhensions ont été rapportées par la population :
Une majorité écrasante de commerçants a rapporté sa crainte devant le nombre de places de parking supprimées [ « supprimer du stationnement c’est tuer le commerce, et de l’angoisse pour les artisans…» ;« que vont devenir les commerçants de centre- ville…passer de 150 à 20 places…».,]*.
Vous savez, ces fameuses places que l’on cherche durant de longues, très longues minutes, jurant de tout notre être, invectivant Dieu et tous ses saints jusqu’à peut-être trouver ce saint Graal tant désiré… si on le trouve, et que l’on ne finit pas, dépité, par rentrer chez soi sans avoir fait ce pour quoi l’on avait pris la voiture. A titre d’exemple, le SMTC-AC (Syndicat Mixte des Transports Clermontois de l 'Agglomération Clermontoise) nous promettait une réduction de 106 emplacements de parking au quartier du lac. Et sa réponse, aux commerçants inquiets de la réduction de fréquentation que cela leur promet, est d’orienter sur la création du e-commerce afin de maintenir les activités de proximité… Je ne sais pas vous, mais pour ma part, je n’ai toujours pas trouvé le moyen de tâter la fermeté de mon melon à travers mon écran, ni de tester la douceur des pages de mon nouveau roman en caressant mon téléphone… sans doute dois-je manquer de sensibilité et dextérité ?
De la même façon, la réduction drastique des places de stationnement vient impacter un secteur d’activité invisible mais oh combien essentiel (!) : celui du soin. Dans un contexte de paupérisation des hôpitaux, au sein duquel les hospitalisations ambulatoires deviennent la norme, la convalescence et le suivi infirmier doivent se faire aux domiciles des patients. Ce qui nécessite déplacements et… stationnement (!) pour des centaines de professionnels chaque jour, comme pour les patients. Et tous ont massivement fait remonter leurs craintes concernant l’accessibilité de certaines zones, tant du fait de la restriction des parkings que des restrictions des voies de circulation, et l’on ne parle pas des temps de trajet qui impacteront forcément la disponibilité auprès de chaque patient…
[« comment se garer pour aller à la boulangerie, au cabinet de radiologie… » ; « alerte rouge ! nous soignons des personnes ici ! c’est au minimum une centaine de personnes qui défilent ici … », « suppression d’une centaine de places de stationnements insensée… » […] «manque de stationnement, amputation terrasse…comment va être compensée la perte du chiffre d’affaires…» ; « que va-t-il se passer (pour les commerces) si on ne peut plus se garer ?... » « …âgée, il me faut des places de stationnement, ou condamnée à rester chez moi… » ; « …impensable de penser que tout le monde peut marcher facilement 300m, ou utiliser le vélo, ou prendre le bus seul… », « plus de stationnement = plus de professions libérales… ». « …supprimer les places de stationnement, scandaleux !...comment on fait pour décharger les courses quand handicapé !... » *
Ses manquements
Et force est d’admettre que les réponses apportées dans le seul but d’apaiser les inquiétudes poussent à l’interrogation… (et non leur apporter une véritable solution/réponse, notez la subtilité !)
Car force est de constater la faiblesse de la communication entourant le projet, et l’apparente indifférence des décisionnaires aux questions que se posent les habitants, directement impactés par le projet. Pour commencer, la fameuse enquête publique vantée par ses défenseurs semble bien avoir été découverte par de nombreux Cournonnais… à sa clôture : « L’association « Clermont et vous » : sondage sur 100 commerçants, 79 ont répondu n’avoir aucune connaissance de InspiRe et ses impacts… » ; « …enquête ouverte alors que projet bien avancé…» **
Pour les 3600 (restreints) participants à ladite enquête, le rapport de la commission d’enquête du 3 août 2022 cachera une désapprobation majoritaire dans un magnifique phrasé. Ainsi, le rapport mentionne : « Nous avons enregistré un nombre significatif d’observations exprimant un avis favorable au projet. Plus nombreuses sont celles qui marquent une opposition, soit à l’ensemble dudit projet, soit le plus souvent, à l’un de ses aspects particuliers : restriction de circulation, suppression de places de stationnement, remise en cause de l’exercice d’une activité professionnelle… notamment. »***. Mais la formulation atténue jusqu’à gommer l’opposition, et la magie de la rhétorique opère : on ne retient en première lecture que les avis favorables. C’est ainsi donc qu’un projet voit tranquillement le jour malgré une majorité de citoyens opposés à sa naissance. J’en viens à me demander l’intérêt d’une enquête visant à recueillir les opinions des citoyens si c’est pour ensuite venir masquer leurs défaveurs ? Georges Orwell aurait eu matière à écrire sur le sujet !
Nous trouvons également en p.8 de « l’Avis délibéré de la mission régionale d’autorité environnementale sur le projet InspiRe […] (63) » : « Par ailleurs les conséquences prévisibles sur le développement urbain […] ne sont pas abordées dans le dossier présenté à l’enquête publique. » Or, comment peut-on réellement se forger une opinion et répondre à une question sans avoir connaissance de tous ses paramètres ?
Nous avons donc retenu que l’un des arguments du projet InspiRe est celui de la conversion écologique, cette fameuse écologie brandie en étendard sacré par les défenseurs du projet. Mais cette écologie n’aurait-elle pas deux visages ?
Ainsi, dans le document « Avis délibéré de la mission régionale d’autorité environnementale sur le projet Inspire […] (63) », l’on peut lire avec surprise que l’emplacement du centre d’entretien et de maintenance n’aurait pas été fait de la façon la plus logique et respectueuse des normes environnementales, comme on aurait pu le supposer (p.11 et 16) :
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« La carte […] à l’échelle de l’agglomération issue du Schéma régional de continuité écologique (SRCE) Auvergne met en évidence que le […] projet coupe des principes de corridors écologiques identifiés comme « à préserver». L’étude omet de souligner ce point. »
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« Le choix de l’implantation du centre (CEM) […] de maintenance sur le site de la Pointe […] pose question. Il conduit à la consommation de 7,53 ha de terres agricoles à haute valeur agronomique et […] à dégrader le paysage de l’agglomération […]. Le dossier écarte sans véritable argumentation une implantation dans le site du Brézet […]. D’autres implantations sur des sites déjà artificialisés sont évoquées et écartées sans approfondir l’analyse […]. L’Autorité environnementale recommande, au regard des incidences environnementales majeures, d’approfondir la recherche d’implantations alternatives […] afin d’éviter ou réduire ses incidences sur l’environnement et la santé humaine. »
Mais il ne s’agissait que de simples recommandations, sans obligation aucune de voir une quelconque application être mise en place. Les 7 Ha ont donc été annexés, sacrifiant tout un écosystème au béton. Réduire les gaz à effet de serre d’un côté, et réduire biodiversité et espace naturel d’un autre ? L’argument écologique du projet nous semble d’un coup bien fallacieux et commode…
Un simple citoyen ne saurait transformer une zone protégée par son statut écologique en zone industrielle, mais c’est bien la magie qui s’est produite ici. Et le rapport « II – CONCLUSIONS DE LA COMMISSION D’ENQUÊTES » en explique fort bien le fonctionnement en p. 15 :
« 3.4.1.1 Modification du plan de zonage en zone 1AUA
L’implantation du CEM est prévue sur une parcelle située en zone UA. La modification proposée consiste à rattacher cette parcelle à la zone 1AUA. […] En effet, la zone UA est une zone d’activités économique mixte, qui n’est pas destinée à recevoir des activités industrielles, alors que la zone 1AUA est une zone d’activités futures à vocation industrielle urbanisable à court terme.
3.4.1.2 Modification du règlement de la zone 1AUA
[…] Le coefficient de biotope est fixé à 40% de la superficie de l’unité foncière, avec dérogation à 30% pour les activités de logistique […] La modification proposée consiste à ramener ces coefficients à 20% et 15%.»
Le SMTC-AC, en tant que co-maître d’ouvrage, conjointement à la CAM, est en charge de la globalité du projet, des études de faisabilité jusqu’à sa mise en œuvre. Mais face aux difficultés de communication, aux absences de réponses aux questions posées par des riverains inquiets de ce projet, cette multiplication des casquettes nous pousse à nous interroger sur la pertinence d’avoir laissé à une seule entité la gestion entière d’un projet de ce type.
N'aurait-il pas été plus judicieux de mandater une autorité publique neutre, sans lien aucun avec le projet, lui faire prendre en charge les études de faisabilité et les enquêtes de proximité ? Après tout, en décembre 2022, le collectif du quartier du lac, dans une lettre ouverte au maire de Cournon, n ’évoquait-il pas son inquiétude face aux retombées économiques d’un tel projet, craignant la fermeture de certains de leurs commerces du fait de la réduction inévitable de la fréquentation de leurs quartiers ? N ’évoquait-il pas également la nécessité d’une véritable enquête publique devant être réalisée au plus près du terrain et de ses habitants, sans se contenter d’affichages publics invisibilisés dans le tourbillon d’informations et d’affiches du quotidien ? Et la réponse apportée, encore une fois, n’aura été qu’un trop long silence…
Mais voyons mesdames et messieurs les professionnels, que d’exigences vous avez ! Un peu de bonne volonté que diable ! La relation humaine, le conseil aux clients, la chaleur d’une discussion…. Tout ceci est surfait dans un secteur tel que le vôtre, les écrans et les panneaux remplaceront ceci avec la même aisance que le bus et ses horaires imposés remplaceront la flexibilité et l’indépendance qu’offre une voiture !
*rapport de la commission d’enquête du 3 août 2022, p 22, 30, 31 et 32
** rapport de la commission d’enquête du 3 août 2022, p 24
*** rapport de la commission d’enquête du 3 août 2022, p 17, paragraphe 6.1
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